Elle est avocate juive. Il est l'homme accusé d'avoir orchestré les attentats suicides palestiniens. Ori Golan explique ce qui a amené Gisèle Halimi et Marwan Barghouti à se rencontrer.
Un jour, alors qu'elle avait 16 ans, Gisèle Halimi a décidé de tester Dieu. Élevée au sein d'une famille juive religieuse en Tunisie, où son grand-père était rabbin, on lui avait fait croire qu'elle ne pouvait réussir à l'école que si elle demandait à Dieu sa bénédiction et qu'elle observait ses lois. Ce matin là, en quittant la maison pour passer un examen de français, elle a fait exprès de ne pas embrasser la mezouza (le parchemin qui se trouve à l'entrée des maisons juives) comme tout juif traditionnel devait le faire. Est-ce que Dieu la punirait pour son défi? Allait-elle rater son examen? Le lendemain, son professeur a annoncé les résultats. «La note la plus élevée est pour Gisèle - comme d'habitude.» Et voilà. Elle a conclu que Dieu avait perdu. Elle pouvait donc s'en passer.
Soixante années plus tard, elle se débrouille toujours sans lui. Élégante, posée et défiante, cette avocate reconnue, écrivaine prolifique et championne des causes féminines, reste une iconoclaste incorrigible qui continue à défier l'autorité avec la conviction et la ténacité d'une rebelle.
Dans son bureau parisien, Halimi explique pourquoi elle représente actuellement Marwan Barghouti, le dirigeant des Brigades Al-Aqsa, le groupe militant palestinien qui serait responsable de la mort et de la mutilation d'environ 200 soldats et civils. Barghouti (43 ans) est le Palestinien le plus important qu'Israël fait passer en jugement. Envisagé un moment comme le successeur potentiel d'Arafat, il était considéré comme un Palestinien modéré et un défenseur du processus de paix. Il parle couramment l'hébreu, et a été engagé dans plusieurs initiatives entre Palestiniens et Israéliens suite à l'accord de paix d'Oslo. C'est la raison pour laquelle beaucoup d'Israéliens ont été surpris par sa conversion en quelqu'un de radical.
Pendant 19 mois, Barghouti a réussi à éviter l'arrestation et les tentatives d'assassinat par les services de sécurité israéliens. Puis, en avril de l'année dernière, il a été pris lors d'un raid dans une maison à Ramallah,et a été accusé de diriger et de conduire des attaques suicides sur des cibles israéliennes, d'assassinat prémédité, de complicité de meurtre, d'exhortation au meurtre, de tentative de meurtre, de conspiration en vue de commettre des crimes, d'activité dans une organisation terroriste et d'appartenance à une organisation terroriste.
Halimi, qui l'a rencontré deux fois en Israël, dit: «C'est un intellectuel, un leader politique et un humaniste. C'est quelqu'un qui souffre de la situation dans son pays. Il condamnera tout acte de terrorisme envers Israël le jour où Israël arrêtera d'occuper la Palestine.»
Les personnes qui sont familières avec le trajectoire d'Halimi ne seront pas surprises de cette alliance entre la petite-fille d'un rabbin et un militant palestinien. Dans les années 60, elle était la conseillère pour le Front de Libération Nationale algérien et a représenté des militants algériens qui essayaient de libérer leur pays du joug français; en Espagne, elle a plaidé pour les séparatistes basques; et elle s'est battue pour quatre militants de gauche qui avaient essayé de renverser le gouvernement du président Marien N'Gouabi au Congo en 1967. Elle a présidé le Tribunal Russell qui a enquêté sur les crimes américains au Vietnam et, deux ans plus tard, avec Simone de Beauvoir, elle a fondé «Choisir», une organisation qui défendait les 343 femmes françaises qui avaient admis publiquement avoir eu recours à des avortements illégaux.
«Je condamne le terrorisme quand il touche des personnes innocentes», dit-elle. «Mais il y a des victimes innocentes dans les meilleures causes du monde. À Alger, à Dresde... en Israël aussi, avant sa création, il y avait du terrorisme. C'est important de se poser les bonnes questions. Vous dites "Pourquoi le terrorisme?" Je réponds "Pourquoi l'occupation?" Tant qu'il y aura une occupation, ce qui est contraire à la loi internationale, on peut s'attendre à du terrorisme. Quand il n'y aura plus d'occupation, alors je le condamnerai, mais alors, il n'y aura plus de terrorisme.»
Dans de nombreuses déclarations publiques, Barghouti a dit que son procès avait été organisé pour des raisons politiques.
Halimi est d'accord. «Je pense qu'en règle générale, le système interne d'Israël est démocratique. Mais d'un point de vue international, Israël est hors-la-loi. La question principale est: la cour israélienne a-t-elle le droit de juger Barghouti? Je dis que non, que le tribunal civil israélien n'a pas les compétences pour le juger. D'abord, la Convention de Genève interdit le kidnapping d'une personne dans un pays occupé. Cela constitue un crime de guerre. Deuxièmement, en tant que membre du Conseil National Palestinien, il bénéficie de l'immunité parlementaire qui ne permet pas de le poursuivre. Ces procédés judiciaires enfreignent la loi internationale, les accords signés bilatéralement entre Israël et les Palestiniens, et la jurisprudence israélienne.»
Une source militaire israélienne qualifie ces arguments de «sélectifs et cyniques». «Les accords entre Israël et l'Autorité Palestinienne ont été régulièrement rompus par le côté palestinien. L'Autorité Palestinienne, en particulier, a fait fi de ses obligations selon l'accord provisoire de septembre 1995, à son engagement d'«agir immédiatement» avec efficience et efficacité contre les actes ou les menaces de terrorisme, violence ou incitation à la violence. Barghouti est un terroriste avec du sang - beaucoup de sang - sur les mains.»
La question de la légitimité du procès de Barghouti a été prise en compte par la procureur de l'État, Dvora Chen, qui a déclaré que les accords provisoires signés entre l'OLP et Israël n'empêchent en aucune façon Israël d'arrêter et de poursuivre en justice des personnes qui vivent sous autorité palestinienne et qui ont commis des crimes exécutés en Israël ou envers des Israéliens.
Halimi insiste sur le fait que Barghouti est un homme qui recherche la paix. «L'accusation dit qu'elle a des témoignages de Palestiniens qui l'impliquent dans une série d'attaques terroristes mais, en avril, ces témoins ont révélé que ces témoignages leur ont été soutiré par la force. Je ne crois pas que Barghouti ait planifié ni qu'il ait été l'instigateur d'attaques terroristes ni qu'il ait financé des crimes - Je ne le crois pas. Il n'a pas de sang sur les mains.»
Malgré le fait que la France soit le pays avec le plus d'incidents ciblés contre les juifs en Europe, Halimi ne croit pas qu'il y ait une montée d'antisémitisme dans ce pays. C'est du racisme, dit-elle, qui peut être imputé aux événements en Israël. «Le problème est que la plupart des gens pensent que les juifs sont des inconditionnels d'Israël et qu'ils aident une cause injuste. S'il y avait une solution au problème du Proche-Orient, alors le problème d'antisémitisme disparaîtrait.»
«En tant qu'avocate, Halimi a le droit de défendre ce qu'elle estime être une juste cause», dit Marc Knobel, du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, l'institut juif officiel le plus important de France. «Mais nous pensons qu'elle a tendance à exonérer l'Autorité Palestinienne de ses propres responsabilités et de ses fautes et, dans le même temps, à incriminer trop facilement Israël.»
En effet, pendant la conversation qui a duré plus d'une heure, Halimi n'a pas mentionné le terrorisme palestinien, ni passé de jugement sur la corruption, l'incitation ou la duplicité palestinienne.
«Sa défense de Barghouti n'est pas surprenante», dit le Docteur Liliane Kandel, une féministe et une sociologue de l'Université de Paris. «Comme beaucoup d'intellectuels français de gauche, Halimi a signé beaucoup de pétitions condamnant Israël. Beaucoup de personnes de la communauté juive - et même de l'extérieur - refusent un point de vue à sens unique et regrettent de voir quelqu'un comme Gisèle Halimi impliquée dans ces campagnes.»
Halimi ne cache pas sa relation vis-à-vis d'Israël. «Je n'ai pas de solidarité particulière avec Israël», dit-elle. «Israël est un État comme n'importe quel autre État. Je ne pense pas que l'aspect religieux soit une bonne chose: c'est très dangereux pour la démocratie.»
Alors qu'elle expose ses convictions athéees, on peut se demander quelle aurait été sa trajectoire dans la vie si elle n'avait pas réussi son examen de français ce jour-là, à l'école.
The Guardian 15 August 2003
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